đ© MĂ©fiez-vous des titres ronflants
Peu importe le niveau hiérarchique.
Un titre ronflant peut cacher un job Ă la con.
StratagÚme pour attirer des employés surqualifiés
La pratique qui consiste Ă distribuer Ă tout vent des titres ronflants aux employĂ©s dâune entreprise ne date pas dâaujourdâhui. Cette pratique concerne tous les Ă©chelons hiĂ©rarchiques. Les employĂ©s de Wal-Mart ou de Home Depot se sont vus affublĂ©s du titre « dâassociĂ©s ». Dans plusieurs entreprises, un simple directeur des ventes est devenu vice-prĂ©sident.
Cette tendance Ă gonfler les titres remonte aux annĂ©es 1990. LâĂ©conomie connaissait alors un boom technologique, avant que la bulle Internet nâĂ©clate. Pour certains, un titre ronflant, flatte lâego du candidat et permet dâaccepter un salaire moindre.
Au Canada et aux Ătats-Unis, le mot « chief » Ă©tait utilisĂ© Ă toutes les sauces. Chief information officer, Chief talent officer, Chief ethics officer. Ou encore Chief blogging officer alors que la plupart du temps ce titre ne correspond en rĂ©alitĂ© quâĂ un seul individu responsable de la rĂ©daction du blogue de la sociĂ©tĂ©.
OĂč est le problĂšme ? Me direz-vous. Justement, gonfler les titres ne va pas sans causer des problĂšmes. Ă force de gonfler les titres, vous entachez la rĂ©putation dâune entreprise auprĂšs des chercheurs dâemploi. Ceux-ci finiront bien par constater que leurs tĂąches ne correspondent pas au titre, et que ce nouveau poste ne leur permettra pas de progresser dans leur carriĂšre.
Les chercheurs dâemploi, eux-mĂȘmes, pratiquent aussi une forme de surenchĂšre lors de leurs entretiens dâembauche. Ils essaient trop souvent de se rendre intĂ©ressants en ponctuant leur discours de termes Ă la mode : consensus, win-win, proactif, cobranding, coworking, start-up attitude, roadmap, benchmarking. Cette autre forme de gonflement, un gonflement de vocabulaire, risque dâirriter le responsable du recrutement et de brouiller le message.
Deux distorsions Ă Ă©viter !
đ© La premiĂšre, le titre dâun poste, tel que libellĂ© par lâentreprise, et les tĂąches rĂ©elles que doit accomplir le titulaire.
đ© La deuxiĂšme, les compĂ©tences dâun candidat, telles quâil les dĂ©crit Ă lâembauche, et ce quâil est rĂ©ellement en mesure dâaccomplir.
Dans lâexcellent podcast de France culture, Les Pieds sur Terre, Sonia Kronlund relĂšve quelques exemples français de ce que David Graeber appelle des bullshit jobs. Ă lâĂ©coute, on ne peut que constater que si les temps changent, les pratiques demeurent, et mĂȘme parfois sâintensifient.
Deux cas dignes de mention
Lâhistoire de Charles
đ© Charles Ă©tait journaliste avant de se convertir, salaire oblige, dans le marketing. SitĂŽt sa dĂ©cision prise, il fut embauchĂ©. Sans formation, il devint du jour au lendemain chargĂ© dâĂ©tudes qualitatives. Il Ă©crit beaucoup, rĂ©alise des interviews (aprĂšs tout il Ă©tait journaliste) et rĂ©alise des benchmarks, une activitĂ© qui consiste essentiellement Ă coller des images et des mots Ă partir de recherches Google. Mais Charles comprend rapidement que son job est inepte. Bien payĂ©, mais vide de sens. Il souffre dâinsomnies, Ă©prouve des vertiges et un jour, face Ă la vacuitĂ© sans fond dâun sĂ©minaire de sĂ©miologie marketing, sort prĂ©cipitamment de la piĂšce, consulte un mĂ©decin, et apprend quâil a dĂ©veloppĂ© un zona.
Lâhistoire de Mathlilde
đ© Mathilde est ĂągĂ©e de 23 ans. Elle est embauchĂ©e Ă Berlin dans une start-up. Avec le titre ronflant de « Success custom manager », rien de moins. En rĂ©alitĂ©, il sâagissait dâun job de commerciale sans formation qui consistait Ă appeler des gens. Comme elle lâexplique elle-mĂȘme son job Ă la con se rĂ©sume ainsi : « Câest un travail ingrat, inintĂ©ressant. On appelle des gens qui ont dâautres choses Ă faire, qui nâont pas envie de vous parler ; on se fait jeter, on remplit des bases de donnĂ©es. » Dans des temps prĂ©historiques, des employĂ©s quittaient leur entreprise, aprĂšs 30 ans de loyaux services. Mathile, quant Ă elle, dĂ©tient peut-ĂȘtre le record de briĂšvetĂ© au travail. Elle a dĂ©cidĂ© de claquer la porte aprĂšs 10 jours seulement.
Ces deux cas nous ramĂšnent Ă la rĂ©alitĂ©. Le monde du travail, dans son Ă©tat actuel, crĂ©e des jobs Ă la con aux titres ronflants pour attirer des candidats surqualifiĂ©s qui en rĂ©alitĂ© devront se contenter dâeffectuer des tĂąches de bas niveau souvent mal payĂ©es.
Références :
Graeber, David. Bullshit jobs. Les liens qui libĂšrent, 2018.
Bullshit Jobs. Les Pieds sur terre par Sonia Kronlund. France Culture, 2021.
Poste gonflable, titre ronflant. Les Affaires Plus, 2008.
SĂšve, Marie-Madeleine. Entretien d'embauche, CV : les mots qui agacent les recruteurs. Reuters, 2014.
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