Leadership éthique 🚩Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour obéir aux ordres ?
Découvrez les recherches de la professeure Émilie Casper sur la désobéissance.
Obéir ou
Désobéir
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Obéir ou Désobéir 〰️
J’ai découvert les travaux d’Émilie Casper lors des conférences pendant la semaine du cerveau 2022, organisée par l’INC (Institute of Neurocognitivism). Sa présentation m’a fait réfléchir au rôle de l’éducation et du leadership dans le développement de comportements, menant à des actes indésirables, voire terribles, comme par exemple, participer à des génocides.
Qui est Émilie Casper ?
Chercheuse et professeure à l'Université libre de Bruxelles, Émilie Caspar possède une expertise dans la conduite de recherches auprès de populations provenant d'horizons très différents (des militaires, des détenus, des individus radicalisés, des survivants de génocide, etc.). Actuellement, elle mène des projets de recherche en Europe et en Afrique.
Ses recherches ont été publiées dans des revues scientifiques comme Nature Communications, Current Biology, Psychological Science, etc.) et largement couvertes par les médias, on peut les consulter sur son blog.
Émilie Caspar a mené l'expérience Milgram-2 auprès de 1700 étudiants. La première expérience Milgram a fait l'objet de nombreux articles, documentaires, émissions de télévision, vous la connaissez probablement.
L'expérience de Stanley Milgram est l'une des plus célèbres en psychologie sociale. Plusieurs raisons expliquent cette notoriété, telles que la méthode utilisée, les enjeux éthiques, les résultats pour le moins étonnants ou l'impact sociétal du sujet de recherche.
Les résultats de cette expérience démontrent que les humains sont prêts à obéir à l’autorité, au point d'infliger un préjudice irréversible à une personne dont ils ont fait la connaissance quelques minutes auparavant. Cette propension à l’obéissance a engendré au cours de l’histoire d’innombrables guerres et un très grand nombre de morts.
Heureusement, certains individus résistent et parviennent à désobéir aux ordres lorsque leur code moral importe plus que les coûts associés au fait de défier les ordres.
Afin de comprendre les facteurs qui empêchent un individu d’obéir à des ordres jugés immoraux, la recherche sur la désobéissance devrait se concentrer, selon Émilie Casper, sur deux axes principaux :
➡ Premièrement, les facteurs situationnels qui sous-tendent la désobéissance.
➡ Deuxièmement, les différences individuelles qui sous-tendent la désobéissance.
L’originalité des travaux d’Émilie Casper consiste à analyser, par le biais de la neuroimagerie, les fondements cognitifs de la désobéissance à des ordres immoraux.
L’approche consiste pour un individu à administrer des chocs électriques à un autre individu.
L’expérience se décline selon les 6 variants suivants :
Règle générale, fournir une raison, un but, ou une gratification financière, même minime, quelques centimes à peine, avaient pour effet de fortement décroître la désobéissance.
Pour quelles raisons les participants ont-ils obéi ?
Les participants se sont eux-mêmes exprimés et leurs réponses peuvent être classées selon trois catégories :
Pour des raisons scientifiques. C’est-à -dire « pour ne pas fausser l’étude ».
Par respect pour l’autorité. Pour se conformer aux ordres. Pour moi, c’était normal de suivre un ordre.»
Car il n’y avait pas d’efforts secondaires réels. « Je n’ai accepté de faire subir que ce que j’aurais été prêt à subir moi-même. »
Pour quelles raisons les participants ont-ils désobéi ?
Se sentir responsable ou mal à l’aise.
S’identifier à l’expérimentateur.
Pressentir la « douleur » de la victime.
S’identifier avec la « victime ».
Pourquoi l’autonomie est si importante ?
La capacité des individus à remettre en question des ordres immoraux est un fondement de l’autonomie individuelle et un gage de succès au sein des sociétés démocratiques. La compréhension des mécanismes de désobéissance présente de multiples avantages :
Meilleure compréhension de la façon dont évoluent des environnements hautement hiérarchisés (armée, prison).
Développement de stratégies d’intervention pour prévenir l’obéissance aveugle.
RĂ©sister aux appels Ă la violence.
Difficile d’imaginer que cela soit possible !
Avant les premières expériences de Milgram, les psychologues et les psychiatres étaient certains que les participants désobéiraient aux ordres de l'expérimentateur. Pourtant la grande majorité a infligé un nombre de chocs pouvant être mortels à des personnes qu'elles connaissaient à peine.
Dans le cas de l'expérience originale, la personne qui, en principe, subissait les chocs était dans une autre pièce, on l'entendait crier, mais c'était seulement une simulation.
Dans l'expérience d'Émilie Caspar les personnes sont face à face, et alternent les rôles également entre bourreau et victime. La personne qui joue le rôle du bourreau reçoit cinq centimes chaque fois qu'elle envoie un choc électrique à l'autre personne qui a eu une mauvaise réponse.
Dans ce cas-ci, les chercheurs étaient certains que les participants désobéiraient. Après tout, il s'agissait d'étudiants universitaires dont la plupart connaissaient l'expérience de Milgram. Eh bien non !
À la fin de l'expérience lorsqu'on leur a demandé pourquoi ils avaient accepté de transmettre un choc électrique à une autre personne pour seulement cinq centimes, un participant a répondu : « J'ai arrêté à un euro, c'était suffisant pour acheter une bière ! »
Nous sommes une espèce animale encore jeune.
Dans le cas des génocides, par exemple, on se souvient de la réponse des généraux d'Hitler : ils n'avaient fait qu'exécuter les ordres. Des ordres ne se discutent pas.
La chercheuse Émilie Caspar mène des recherches auprès des militaires, analysant les zones du cerveau qui sont activées lorsqu'ils exécutent des ordres. Elle étudie quatre facteurs en particulier : Le sentiment d'agentivité (on est rarement conscient de tout ce que l'on fait au moment où on le fait, mais on sait qu'on a fait cette chose), le sentiment de responsabilité, l'empathie pour la douleur d'autrui et le sentiment de culpabilité,
Un militaire exécute les ordres, il ne lui appartient pas de les remettre en question. L'analyse des zones du cerveau activées dans ces cas-là montre un affaiblissement des quatre facteurs mentionnés.
Émilie Caspar mène également des études au Rwanda, un peuple qui a vécu le génocide le plus rapide de l'histoire. Plus d'un million de personnes tuées en trois mois. Et cette fois, ce ne sont pas des militaires qui ont exécuté les ordres, mais de simples civils. On leur a ordonné de tuer leurs voisins et même des membres de leur famille s'ils étaient Tutsi. Des pères ont tué leurs enfants. Des maris leur femme. À la machette.
Lorsqu'on leur a demandé comment ils avaient pu faire une telle chose, ils ont répondu : Je l'ai fait parce qu'on me l'a ordonné. Un homme a même répondu, ce n'est pas moi qui ai démembré ma femme, c'est le groupe.
Finalement, ce n'est qu'une minorité de personnes qui décident de désobéir pour sauver des vies.
Pourquoi ?
Ce qui nous pousse le plus Ă agir, c'est la culture du groupe ou de la famille.
Les ĂŞtres humains ont tendance Ă ressentir une plus grande empathie neuronale envers les membres de leurs groupes.
Je trouve intéressant d'essayer de comprendre ce qui pousse les humains à commettre les mêmes erreurs encore et encore. Si nous comprenons la source, nous pourrons peut-être apprendre de l'histoire plus rapidement.
Et si nous réfléchissions à notre style de management et de leadership…
On peut faire un lien avec le style de management, l'intelligence positive et collective.
Dans les cultures où il y a un fort respect de l'autorité, comme dans les pays où il y a un régime autocratique par exemple, cela veut donc dire, que la majorité des personnes seraient capables de commettre des actes ignobles si les autorités leur demandaient.
Cela remet donc en cause nos manières d'éduquer. Comment éviter que ces choses se reproduisent comme cela se déroule, en ce moment même sous nos yeux, en Ukraine ?
Poutine, avec des techniques de propagande, a réussi à réhabiliter Staline, il réécrit l'histoire à sa façon. Hélas, en Russie, plusieurs familles où l'un des parents est Ukrainiens se brisent sous cette pression de l'autorité. Les cauchemars du passé reviennent. Les soldats russes commettent des atrocités en ce moment : enfants, femmes, vieillards, les méthodes rappellent les pires crimes contre l’humanité. Les soldats russes sont endoctrinés et formés à cela depuis leur jeunesse. Après la guerre, si Émilie Caspard et ses doctorants et doctorantes allaient les interviewer, la plupart, une fois de plus ne ressentiraient aucune culpabilité. Ils n’auront fait qu’exécuter les ordres.
Qu'est-ce que l'Ă©thique et la morale ?
Lorsqu'on investit dans des programmes de conscience de soi, de mental fitness, d'intelligence positive et collective, on aide les personnes à apprendre à penser par elles-mêmes et à faire preuve de plus d'empathie et d’autonomie.
Apprendre la collaboration va bien au-delà du simple fait d'exécuter des ordres comme je le mentionne dans mon billet Un des secrets d’une équipe gagnante 🚩 l'intelligence émotionnelle collective.
En tant que leaders, nous avons tous une forte responsabilité. La première, un excellent leader contribue à créer d’autres leaders. Des équipes où il y a du respect et de la complémentarité s’épanouissent davantage et obtiennent de résultats hautement supérieurs. Ce que m’inspirent les recherches d’Émilie Casper, c’est que ce rôle a une portée très importante pour les générations futures.
Nos façons de gérer et de diriger aujourd'hui ont un impact sur l'avenir du monde.
Référence :
Caspar, Émilie. A novel experimental approach to study disobedience to authority. Scientific Reports | (2021) 11:22927 | https://doi.org/10.1038/s41598-021-02334-8.