Ritualiser le laisser-aller !

Ah ! Ces mauvais souvenirs…

Ritualiser le laisser-aller ! - par Sylvie Gendreau

Il y a des souvenirs dont nous aimerions nous débarrasser. Mais les objets auxquels ils sont associés sont là pour nous les rappeler. 

Il n’est pas toujours évident de se séparer de ces objets. Encore faut-il les trouver. Il arrive parfois qu’on oublie leur existence jusqu’à ce qu’ils surgissent à l’occasion d’un rangement ou en ouvrant simplement un placard. 

Toutefois, il n’est pas toujours opportun de s’en débarrasser rapidement. Nous pourrions alors regretter un geste précipité. Après tout, avec un certain recul, nous pourrions vouloir réévaluer une relation passée et y trouver des aspects positifs. À l’inverse, tout vouloir conserver, nous expose à des rappels douloureux susceptibles de provoquer de la détresse et de l’anxiété. 

Bref, les processus de « laisser-aller » connaissent des rythmes qui leur sont propres. Ils varient selon l’objet et les circonstances de la rupture. 

Une étude met en lumière les intrications parfois surprenantes des rituels entourant le deuil. Ces données ont été colligées à partir d’interviews* menées auprès d’une dizaine de thérapeutes. 

De quels objets s’agit-il ? Comment s’en débarrasse-t-on ? Quels événements ont entraîné ces rituels ? 

On distingue deux catégories d’objets.

Ceux que possède l’endeuillé :

- Un médaillon ou un pendentif. Suite à une séparation, le processus d’élimination se fait de manière « ouverte », en plongeant l’objet dans l’eau.  

- Un petit objet domestique, une bague par exemple. Suite à une séparation ou à un divorce, l’élimination s’effectue « secrètement » en enfouissant l’objet dans la terre. 

- Une photo ou des lettres d’amour. Suite à une séparation, le processus d’élimination est « dynamique », en découpant ou en brûlant le papier. 

Les objets dits naturels (organique ou inorganique) :

- Il peut s’agir de cristaux, de pierres, de poteries, ou encore de lettres. Le processus est « ouvert ». Il fait suite à un deuil, un divorce ou une séparation. Les objets sont plongés dans l’eau. Ou on les laisse flotter à la surface. Ou encore on les disperse dans l’air. 

- Il peut s’agir de graines que l’on plante. 

- Ou d’un ruban que l’on coupe pour symboliser un divorce. 

Lorsqu’il s’agit d’un rituel de « laisser-aller », rien de tel qu’un objet matériel. Un objet numérique ne se prête guère à une élimination par une immersion dans l’eau, un enfouissement dans la terre ou une incinération. 

Les rituels d’élimination ne permettent pas seulement de laisser-aller, ils transforment la relation elle-même. 

Il existe une tension entre la « rétention » et le « laisser-aller ». La dynamique de la rétention concernent les objets que l’on chérit. On peut soit réparer, recoudre, transformer un objet pour le conserver près de soi. C’est une dynamique non pas d’éloignement (« laisser-aller »), mais de rapprochement. 

Les rituels de « laisser-aller » sont d’autant plus efficaces que leur charge symbolique est grande. 

Tous les participants à l’enquête soulignent que les mouvements du corps sont importants dans le processus d’élimination, qu’il s’agisse d’un processus passif ou actif. 

Certains gestes sont reliés à des émotions spécifiques : 

- L’incinération, la déchirure se rapportent à la colère. 

- L’immersion dans l’eau (une eau mouvante de préférence) ou la dispersion dans l’air (au sommet d’une montagne par exemple) est reliée à la tristesse, au regret. 

- La mise en terre d’une graine suscite l’espoir ; mais la mise en terre d’un objet en vue de sa décomposition est liée à la tristesse. 

La nature, elle aussi, joue un rôle important. Certains sites naturels peuvent faire ressurgir des souvenirs intenses. D’autres exercent un pouvoir régénérateur. La nature revêt un caractère sacré, elle incarne (dans la mesure où un site naturel est demeuré intact) les origines, l’équilibre souhaité ou retrouvé. Traditionnellement, les rituels, quels qu’ils soient, se sont souvent déroulés dans des lieux de nature. 

Comme on peut le constater, même dans nos rituels, nous pouvons être créatifs.

* interviews