Le temps qui passe
Une série de petites transitions…
Si vous me demandiez où j’aimerais être aujourd’hui, je répondrais Cambridge.
Ce désir est né d’une photo partagée sur Facebook par une de mes anciennes étudiantes depuis sa chambre qui donne sur le campus de l’université Cambridge. Des arbres centenaires, laissant voir au loin la façade de l’immeuble de vieilles pierres.
Si on aime l’automne. Si on aime écrire. Si on aime les bibliothèques. La vue d’une seule photo suffit pour s’imaginer ce que sera la vie d’Ariane pour les prochains mois.
C’est le début de la fin de son doctorat. L’écriture de sa thèse dans un cadre champêtre, propice à l’étude. Une belle période dans la vie.
Quelques jours plus tard, Walter Sepp Aigner qui vit à Vienne me parle d’un événement cette semaine à Cambridge, Reassessing Bergson. M’imaginer, en congé, écouter et échanger avec ces penseurs et philosophes qui interpréteront la pensée de Bergson, le philosophe du temps… me plaît.
En septembre 2019, mon désir soudain d’être à Cambridge pour quelques jours n’est qu’un désir éphémère et circonstanciel. Dans quelques années, ce genre de désirs pourra probablement être satisfait si les équipes de scientifiques continuent à progresser sur la téléportation.
Cela tombera à point nommé. Les défenseurs de l’environnement commencent à juger sévèrement les nombreux déplacements des centaines de milliers d’étudiants, chercheurs et professeurs qui, chaque semestre, voyagent pour aller présenter une conférence à l’autre bout du monde et revenir deux jours plus tard, contribuant ainsi à l’accroissement de la pollution sur la planète.
L'impact climatique du transport aérien est responsable de l'émission de dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre qui s'accumule dans l'atmosphère et dont les émissions représentent de 3 à 4 % des émissions mondiales (cette proportion pouvant grimper à 15 % en 2050 en raison de la croissance du trafic aérien de 5 % par an).
Parmi les voyageurs, il y a ceux qui sont ravis, car c’est le seul moment où ils ont l’impression de souffler un peu, de se détendre. Surtout les chercheurs en apprentissage des machines ou en intelligence artificielle qui passent beaucoup de temps devant leur écran à programmer. Pour d’autres, ces brefs voyages les éloignent inutilement de leur famille. Ils sont plutôt une corvée.
Si ce qui nous importe est la destination, et que le voyage a peu d’attraits, la téléportation sera un avantage. Mais tout cela demeure (avant tout), pour chacun, un voyage intérieur.
Bergson explique d’ailleurs que la durée est vécue de l’intérieur.
Pour Bergson, explique le philosophe Camille Riquier, à l’émissions Les chemins de la philosophie sur France Culture : « C’est le changement et le devenir qui intéresse avant tout Bergson. Il est considéré comme le philosophe du temps, celui qui a considéré que le temps n’était pas comme on l’avait jusqu’ici envisagé une illusion, une apparence, mais l’étoffe de la réalité, sinon la réalité elle-même. C’était comme un changement de perspective où il était proposé à la philosophie de se confronter au monde que nous avions devant nous et non pas à un autre monde dont celui-ci n’aurait été qu’un écran de fumée, parce que justement, il n’était que transitoire, un devenir, en cela il n’était pas la réalité elle-même. Mais la réalité est la transition elle-même. »
« La réalité est la transition. »
J’aime cette idée. Le temps qui passe nous change irrémédiablement. Mais nous nous apercevons du changement d’un état seulement une fois que nous avons changé d’état.
La vie est un mouvement perpétuel qui nous incite à rechercher parfois l’immobilisme, mais ce n’est qu’un simulacre. L’immobilité n’existe pas dans nos vies puisque que la réalité est la transition. En tout cas selon Bergson.
Pour conclure sur cette réflexion sur le temps, j’ai interviewé le physicien Étienne Klein il y a quelques années sur le thème du temps. Il me disait qu’il y a un débat au sein des physiciens. Certains pensent que le futur existent déjà. D’autres pensent que nous le créons en avançant dans la réalité. Pour ceux que cela intéresse, voici l’interview.
Même lorsque vous ne faites rien, le temps passe et vous change. Alors aussi bien en faire quelques chose sans attendre.
Va, viens et deviens…
PS Et une bonne manière de faire cela, c’est de rejoindre les leaders créatifs. Êtes-vous un leader ?
Mais le plus amusant, chers amis, c’est que ce billet qui a été partagé en primeur avec mes abonnés a fait écho à Valérie qui m’écrit :
« Quelle coïncidence ! Il faut que je vous le dise : j’aurais moi aussi vraiment aimé être à Cambridge hier et aujourd’hui.... pour y entendre parler de Bergson. Et y écouter notamment mon directeur de thèse.
C’est tellement bergsonien de donner à cette philosophie de nouvelles directions. La philosophie de la durée regarde devant, marche en avant. C’est une philosophie qui dit oui, pour le dire comme Jankélévitch.
Je reçois vos lettres, je les lis de temps en temps, je les trouve souvent parlantes. Vous êtes agréable à lire et faites souvent écho à des ressentis, du vécu – sans doute est-ce parce que je mène un grand projet de reconversion, ou de transformation, depuis 5 ans environ. L’occasion ne s’était, ceci dit, pas encore présentée pour moi de réagir. Mais là, c’est tellement personnel, il fallait vraiment que je vous le dise ! Quelle coïncidence ! Les amis de mes amis sont mes amis, dit-on. Je suis une bergsonienne et les amis de Bergson sont mes amis. »
Travailler sous l’effet d’un stress chronique, d’insécurité financière et d’une pandémie force les individus à travailler plus fort et plus longtemps pour réaliser les mêmes objectifs.