L'activité physique en soirée nuit-elle au sommeil ?
par Mathieu Nedelec
Activité physique en soirée ou bonne nuit de sommeil : est-ce qu’il faut choisir ?
Paris, ce lundi soir à 22h30. Alors que le froid vif et mordant de ce mois de janvier me saisit, je rentre d’un pas pressé. Au détour d’une rue, mon attention est attirée par une vitrine particulièrement lumineuse.
Au fur et à mesure que je m’approche, une musique entêtante et lancinante se fait de plus en plus précise. Une salle de fitness ! Derrière la vitre, une douzaine de sportifs et sportives suivent avec plus ou moins d’aisance le rythme imposé par le coach. Une goutte de sueur à peine perceptible perle de son front, il aura la décence à la fin du cours de ne pas faire la confidence à ses élèves qu’il s’agit pour lui du septième cours de la journée…
Cet épisode citadin banal est l’occasion de répondre à l’une des questions qui m’est le plus fréquemment posée lors de mes interventions : « et le sport en soirée, est-ce que ça perturbe mon sommeil ? »
Les médecins et l’opinion publique en général ont tendance à déconseiller la réalisation d’un exercice physique intense en soirée, au cours de la période qui précède le coucher.
Un tel exercice nuirait à la qualité de sommeil la nuit suivante. Il y a aujourd’hui très peu de preuves tangibles dans la littérature scientifique pour soutenir l’option du canapé en soirée plutôt que la course en extérieur ou dans la salle de fitness. Browman et Tepas, en 1976, ont certes montré une augmentation de la latence d’endormissement - ou temps mis pour s’endormir - à l’issue d’un exercice réalisé tard le soir. L’augmentation significative de cette latence d’endormissement était de six minutes à l’issue d’un exercice sur vélo de 45 minutes réalisé seulement cinq minutes avant le coucher !
Aussi rapide soyez-vous à prendre votre douche, rentrer chez vous et profiter d’une petite collation, il y a fort à parier que la période de récupération entre la fin de votre séance et le coucher est plus longue… Plusieurs études ont montré l’absence d’effet voire même des changements bénéfiques du sommeil à l’issue d’un exercice réalisé en soirée.
Ainsi, Buman et al. (2014) ont montré, au sein d’un large échantillon de 1 000 adultes, que les adeptes de l’exercice en soirée - exercice réalisé moins de 4 heures avant le coucher - rapportent un sommeil similaire voire amélioré les jours d’exercice comparativement aux jours de repos.
Une méta-analyse regroupant les résultats de presque 3 000 adultes a, par ailleurs, conclu que la réalisation d’un exercice moins de 3 heures avant le coucher est bénéfique pour le sommeil : moins de temps de veille au cours de la nuit et moins de sommeil lent léger (Kredlow et al., 2015).
Et l’intensité de l’exercice me direz-vous ?
Réaliser un exercice subjectivement perçu comme difficile une heure et demi avant le coucher est associé à une meilleure qualité de sommeil et à une réduction de la latence d’endormissement (Brand et al., 2014).
La température centrale de notre organisme suit un rythme circadien, proche de 24 heures. Elle est au plus bas vers 3-4 heures du matin puis augmente progressivement pour atteindre un pic entre 18 et 20 heures. Entre 18 et 20 heures, c’est la fenêtre idéale si vous souhaitez améliorer votre record personnel !
L’endormissement est ensuite lié à une diminution de température interne (environ 0,5 à 1°C) et le sommeil lent profond de début de nuit est favorisé si la température interne est réduite.
Le conseil généralement répandu de ne pas réaliser d’exercice physique en soirée repose principalement sur le postulat qu’un exercice, d’autant plus s’il est intense, va augmenter la température centrale et nuire à la qualité de sommeil. La réalité est plus complexe.
Pour y voir plus clair, nous avons évalué l’influence d’un trail de haute intensité réalisé en laboratoire et en soirée (21:00) sur le sommeil évalué par polysomnographie de coureurs à pied bien entraînés en endurance (vitesse maximale aérobie supérieure à 18 km/h et VO2max de 70 mL/min/kg). Les résultats ont montré une modification mineure de l’architecture du sommeil au cours de la nuit suivant l’exercice comparativement à la situation contrôle ; tandis que la température centrale et la fréquence cardiaque étaient significativement augmentées au cours de la première partie de la nuit comparativement à la situation contrôle.
Un autre article publié en même temps (Thomas et al., 2019) a montré que la réalisation d’un exercice intermittent de course à pied (6 x 5 minutes à 90% VO2pic ; 5 minutes de récupération) à 18h augmentait le temps total de sommeil au cours de la nuit suivante, et ce même si une augmentation de la fréquence cardiaque au cours de la nuit était également constatée.
Il semblerait bien que sport en soirée et sommeil de qualité fassent bon ménage ! Une activité physique régulière fait le lit d’un bon sommeil et d’une bonne santé à long terme. Et afin de mettre toutes les chances de votre côté, voici ma liste des stratégies pour favoriser votre sommeil à l’issue d’un exercice réalisé en soirée :
1. Limiter l’exposition lumineuse, en particulier aux écrans, et éventuellement porter des lunettes teintées.
2. Préférer une boisson lactée à l’eau pour assurer votre réhydratation.
3. Consommer une collation à index glycémique élevé.
4. Consommer du jus de cerise Montmorency et des aliments riches en tryptophane (dinde, graines de courge).
5. Créer un environnement de sommeil adéquat : frais (18-19°C), calme, obscur.
6. Essayer un exercice de cohérence cardiaque, ce qui fera l’objet d’un prochain billet.