L'homme invisible Martin Margiela — est-il (vraiment) un créateur de mode ?
Il semblerait que oui (mais pas que).
De toute évidence, il s’agit d’une prouesse. Dans le monde de la mode, où tout est apparence, faire sa trace sans jamais se montrer le bout du nez tient de l’exploit.
Dernier défilé de Martin Margiela, film de Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte diffusé sur Arte — L’homme invisible est-il un créateur de mode ? par Sylvie Gendreau, BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Le nez justement. Plusieurs défilés de mode de Martin Margiela mettent en scène des mannequins aux visages totalement voilés par leurs coiffures ou par des tissus.
Comment font-elles, se demande-t-on chaque fois, pour ne pas trébucher.
Dernier défilé de Martin Margiela.
Comment créer un mythe de la mode ?
En faisant une révolution !
Un des plus grands créateurs du vingtième siècle avoue lui-même « qu’il est difficile de se faire un nom si les gens ne peuvent pas y associer un visage. » C’est pourtant ce qu’il a fait. En vingt ans de carrière, il ne s’est jamais départi de sa cape d’invisibilité.
Martin Margiela est Belge. Élève de l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers, il a été l'assistant de Jean-Paul Gaultier à Paris de 1984 à 1987 pour achever sa formation de créateur de mode. Il en rêvait depuis qu’il était enfant.
« Quand je serai grand, je serai créateur de mode à Paris. »
Une grand-mère couturière qui lui a appris comment concevoir un vêtement, et un père coiffeur. Dans son salon, pendant les heures de fermeture, sa mère vendait des perruques. Ses croquis étaient des collages et dessins. Et Barbie et Ken, ses modèles !
Martin Margiela était un enfant qui aimait être seule. Il créait son propre imaginaire de la mode.
Croquis d’enfance de Martin Margiela, film de Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte diffusé sur Arte)— L’homme invisible est-il un créateur de mode ? BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Il utilisait les tissus de sa grand-mère pour ses créations.
Croquis d’enfance de Martin Margiela Image (extrait du film de Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte diffusé sur Arte) — BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Son rêve d’enfant de devenir créateur de mode à Paris a pris forme en 1987. Il fonda sa propre maison avec Jenny Meirens, elle avait une boutique unique à Bruxelles, ils partageaient une même esthétique. Tous les deux étaient fascinés par les créateurs de mode japonais. Son association avec Jenny lui a permis de créer librement. Ils avaient peu d’argent, mais ils pouvaient faire ce que bon leur semble.
Derrière ce succès :
une formidable amitié et complicité
Ensemble, ils ont créé une maison de couture avec peu des ressources. Martin Margiela trouvait des meubles dans la rue ou au marché aux puces de St-ouen, même chose pour les tissus et les éléments qu’il utilisait. Sa collection artisanale est même devenue une ligne à part entière. C’était une vraie démarche créative, illustrant à quel point Martin Margiela est un artiste.
«Like-minded business partners Martin Margiela and Jenny Meirens, embracing at a surprise birthday party for Meirens in 1995. » Credit L Anders Edstrom, The New-York Times Style Magazine
Pour Martin Margiela, une création commence par deux éléments
Les deux éléments les plus importants, pour le créateur de mode, sont les épaules et les chaussures.
Les épaules pour l’attitude,
les chaussures pour le mouvement.
Il dit remplir ensuite tout ce qu’il y a entre les deux.
Les deux traits distinctifs que l’on retrouve dans toutes ses collections : la tabi, ces bottines japonaises qu’il a eu l’idée de faire sur des talons.
Les bottines signées Martin Margiela sont depuis passées à l’histoire, film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte— Martin Margiela se raconte - BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Image extraite de la vidéo produite par le Palais Galeria pour l’exposition MARGIELA / GALLIERA, 1989-2009
Et les épaules dessinées de différentes manières, souvent accentuées qui ont influencé tant de designers par la suite.
Modèle de Martin Margiela, 2008.
Au départ, tout ce qu’il faisait était à l’opposé de la direction de la mode à cette époque. Tous faisaient du court, il a commencé à faire du très long, des jupes droites, des manteaux longs avec des éléments destroy.
Croquis de Martin Margiela inspirés des surréalistes (extrait du film de Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte diffusé sur Arte), le blog Avoir du Style — La Nouvelle École de Créativité
Martin Margiela aime la provocation. Non pas pour le geste provocateur comme tel, plutôt pour étonner, pour décloisonner, pour interroger, comme le font les œuvres d’art qui nous marquent, nous dérangent, nous interpellent. D’ailleurs, il s’est beaucoup inspiré des surréalistes.
En cela, les années 80 lui vont comme un gant. C’était une période folle marquée par les excès et les plaisirs. Sa mode est conceptuelle, souvent axée sur le blanc ou les couleurs neutres. Il affectionne l’inachevé, les tissus recyclés, froissés ou encore le trompe-l’œil.
Il était fan des années 70. C’est la décennie où les gens ont commencé à se vêtir comme ils le souhaitaient, agençant des pièces à leur façon, ne se laissant plus dicter les codes par une mode limitante. Pendant les années 70, un vent de liberté (et de révolte) a soufflé sur le monde. Les personnes s’habillaient pour le plaisir.
Les années 80 ont été les années d’une mode folle, d’une mode plaisir où toutes les extravagances étaient permises.
Comment créer un univers à part ?
Extrait du film de Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte diffusé sur Arte), le blog Avoir du Style — La Nouvelle École de Créativité
Il a choisi le blanc à l’époque où tous les designers présentaient des collections où le noir et les gris anthracite dominaient. Martin Margiela voulait être différent. Il a pensé créer un univers autour d’une seule couleur.
Dans sa maison de couture, il a eu l’idée de tout repeindre en blanc. Pas seulement les murs, mais également les meubles qu’il trouvait aux puces, et si les meubles n’étaient pas intéressants, il les recouvrait de coton blanc. Ils ont peint les téléphones, les téléviseurs, tout était blanc. Et cela donnait un très bel effet. Les longues blouses blanches sont devenues l’uniforme Margiela.
Pendant des années, les étiquettes de ses vêtements n’étaient que 4 points de couture. Sans nom. Au point où « lorsqu’on portait un vêtement Martin Margiela, les personnes pensaient que des points avaient été oubliés ou qu’un fil dépassait », témoigne Sandrine Dumas, la fille de Jean-Louis Dumas, le président d’Hermès de 1978 à 2006.
Ensuite, les étiquettes anonymes sont devenues une signature recherchée.
Dans le film réalisé par Reiner Holzemer, Martin Margiela se raconte. Mais on ne le voit jamais. On entend sa voix. On voit ses mains et ses créations. Cela pourrait sembler une brillante stratégie de marketing, mais il n’en est rien. Martin Margiela n’est pas à l’aise avec l’idée d’être célèbre. Il n’avait pas envie d’expliquer son travail, ses collections. Il voulait garder ses énergies pour se concentrer sur la création. Et c’est un homme qui aime le mystère et les surprises. Il n’est pas étonnant que la femme Martin Margiela de cette époque soit intrigante et mystérieuse.
Le designer a changé la mode. Il y a eu un avant et un après Martin Margiela. Il a été extrêmement copié par la suite. Ils sont très rares ceux qui ont pu accomplir cela. C’est vraiment inspirant de voir un créateur qui ose être libre à ce point.
Ses collections artisanales étaient faites à partir de vêtements ayant appartenu à des personnes simples et non des pièces vintage de designer. Il les déconstruisait et créait quelque chose de complètement nouveau comme plusieurs designers soucieux de l’environnement le font aujourd’hui.
Martin Margiela se raconte
Il est celui qui a popularisé la déconstruction ou la mode destroy comme il l’appelle. Utilisant d’anciens vêtements, des costumes de théâtre ou des tissus usagers. Laissant voir les coutures, les doublures. Il a fait des vêtements avec les sacs plastiques qui protégeaient les vêtements. Il faisait de la récup avant même que le mot ne soit à la mode.
Film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte — Martin Margiela se raconte - BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
La designer japonaise, fondatrice de la marque, Comme des garçons, Rei Kawakubo, a été la toute première à créer la mode Destroy. Comme l’explique la prévisionniste des tendances, Lidewij Edelkoort : « Elle le faisait par rébellion tandis que Martin Margiela le faisait par curiosité, explorant ce qui fait la structure d’un vêtement. »
Des défilés hors norme
Il a fait ses défilés dans des lieux inusités : le métro, l’armée du salut, un parking, sous le pont Alexandre III avec des mises en scène créatives à l’image de son parcours artistique, toujours pleines de trouvailles. Martin et Jenny voulaient être inclusifs.
Les bijoux, entre autres, en glaces de couleur changeait les couleurs des vêtements pendant le défilé.
Film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte — Martin Margiela se raconte -BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Ou il laissait le tissu qui avait servi à confectionné le vêtement. Le mot qu’on entend le plus souvent des personnes qui commentent ses défilés et ses collections : « génial ».
Le luxe selon Martin Margiela
Conceptuel, avant-gardiste certes, mais cela ne l’a pas empêché de créer douze collections pour la maison Hermès, de 1998 à 2004. Des collections, je l’avoue que j’aime beaucoup, un style simplissime, élégant, avec du caractère. Montrant la femme comme une femme forte, intemporelle. Cela se discute, me direz-vous, ses collections ont étonné les critiques de mode à l’époque. Tous s’attendaient à plus. Il a fallu quelques années pour installer ce style épuré. « Pour moi, le luxe, c’est l’équilibre parfait entre la qualité et le confort. Nous avons enlevé le mot couleur et nous l’avons remplacé par des tonalités. »
Collection Hermès par Martin Margiela, Image extraite du film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte — Martin Margiela se raconte - BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
Collection Hermès par Martin Margiela, Image extraite du film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte— Martin Margiela se raconte - BLOG-Inventez votre style et votre beauté — La Nouvelle École de Créativité
En 2009, il a quitté l’univers de la mode. Après avoir vendu sa maison de couture à Diesel, il a compris qu’il n’aimait pas être le directeur artistique de sa maison de couture. Il avait l’habitude d’être libre et non d’être sous le contrôle d’une équipe de marketing. Il était malheureux dans ses nouvelles fonctions.
Dernier défilé de Martin Margiela, Image extraite du film de Reiner Holzemer diffusé sur Arte— Martin Margiela se raconte - le blog Avoir du Style — La Nouvelle École de Créativité
Pour un créateur qui rêve depuis l’enfance de faire ce métier, Jean-Paul Gaultier dit qu’il fallait énormément de courage pour tout abandonner ainsi.
Vingt ans de carrière marquée par des créations étonnantes : modèles déjantés, inachevés, froissés, présentés par des mannequins anonymes, défilés organisés dans des endroits improbables, adepte de l’upcycling (à l’époque on utilisait le terme recyclage), apôtre de la reconstruction produisant des vêtements très conceptuels à la limite de l’importable.
Margiela c’est celui (le seul) qui met à nu, écrase, plaque et décadre des éléments disparates pour composer de nouveaux modèles.
La ligne de Margiela que l’on peut qualifier de ‘plus’ facile à porter et commercialisable est celle qu’il crée pour Hermès entre 1997 et 2003. On dit alors qu’il a appliqué à des matières luxueuses une sublime et ruineuse pauvreté. « Le démon Margiella était entré chez le dieu Hermès. »
En 2018, le musée de le mode célèbre son talent et lui rend un vibrant hommage. Peu de designers entrent ainsi dans l’histoire : exposition, livres, il est considéré parmi les importants créateurs de son temps.
Martin Margiala a été invité comme directeur artistique par le musée de la mode à Paris, le Palais Galliera pour orchestrer une exposition présentant son parcours artistique hors du commun, MARGIELA / GALLIERA, 1989-2009
Depuis qu’il a quitté sa maison de couture, il peint, il dessine, il sculpte. Si vous êtes curieux de découvrir ses œuvres, la galerie Lafayette Anticipations organise la première exposition de Martin Margiela en tant qu’artiste jusqu’au 2 janvier 2022.
Quelles leçons retenir ?
Si vous aspirez à être un créateur de mode, osez ! Martin Margiela a été l’un des plus grands influenceurs de la mode pendant 30 ans, c’est considérable ! Et je pense qu’il nous réserve encore des surprises. Il n’a certainement pas dit son dernier mot.
Ce parcours est inspirant, car il est extrêmement créatif et libre. D’ailleurs quand le marketing a pris le dessus pour orienter le design, il a su qu’il ne pourrait pas servir ce besoin. Il s’est éclipsé pour continuer à créer comme il l’entendait. Ce qu’il a toujours fait.
Quant au style, les leçons sont multiples :
Dans le cours en ligne, Mon style, ma garde-robe, nous nous amusons en ajoutant des accessoires de la rue, de l’environnement : pneus, tissus recyclés, contenants… bref c’est un esprit très rafraîchissant lorsque nous imaginons nos tenues ainsi.
La définition de luxe de Martin Margiela me convient bien : l’équilibre parfait entre la qualité et le confort.
Références
Martin Margiela se raconte - Portrait d'un mythe de la mode. ARTE, 2021.
Fashion legend Martin Margiela to make comeback as artist
Martin Margiela, exposition - Lafayette Anticipaitons
